CANCER les agriculteurs moins touchés...
Selon une étude, un travailleur agricole a 27% de risques en moins de décéder d'un cancer. C'est une surprise. Les agriculteurs, qui utilisent pourtant
beaucoup de pesticides, meurent moins du cancer que le reste de la population. ...
Pesticides : le combat d'un Charentais
Paul François, agriculteur dans la
région de Ruffec, a créé l'association Phyto-victimes. En 2010, son intoxication par un herbicide avait été reconnue maladie professionnelle
En mars dernier, Paul François a lancé à Ruffec, en Charente, l'association Phyto-victimes, à destination des agriculteurs qui, comme lui, ont souffert des pesticides. Archives Isabelle Louvier
Paul François était hier à Tours, où se tenait, sous l'égide de la Mutualité sociale agricole (MSA) et
de l'Institut national de médecine agricole (INMA), un colloque scientifique sur le thème « Cancer et
travail en agriculture » (lire ci-dessous). Il y assistait en qualité d'observateur. Attentif, très attentif. En 2004, cet agriculteur charentais âgé de 47 ans, vivant dans la
région de Ruffec, fut intoxiqué par un herbicide en nettoyant une cuve après une pulvérisation dans un champ de maïs. Il souffre aujourd'hui encore de séquelles neurologiques graves. Après
un long combat, il était parvenu, en 2010, à faire reconnaître l'accident et ses conséquences comme maladie professionnelle par la chambre sociale de la cour d'appel de Bordeaux.
Son combat n'est toujours pas terminé. Il poursuit en justice la firme Monsanto, productrice du désherbant
incriminé. Pour défaut d'information. Il estime en effet que la firme « ne pouvait pas ne pas être au courant du danger que ce produit (interdit depuis), à base de chlorobenzène, présentait pour l'utilisateur ». L'affaire devrait être plaidée devant le
tribunal de grande instance de Lyon d'ici à la fin de l'année.
Mais Paul François ne s'en tient pas qu'à son cas personnel. En mars dernier, à Ruffec, en Charente, il fondait l'association Phyto-victimes. Le bureau compte 12 membres, tous agriculteurs ou
anciens agriculteurs, propriétaires exploitants ou gérants d'exploitation.Contre le déni
Cette association (qui vient de recruter un animateur permanent) entend jouer un rôle de porte-parole et de conseil, explique-t-il : « Mon expérience m'a montré que les porte-parole des firmes sont des pros. Face à eux, les agriculteurs doivent être à la hauteur ». Ainsi, les sollicitations que la
jeune association traite proviennent-elles d'« agriculteurs soucieux qu'on les aide dans leurs démarches ». Mais aussi de « familles qui se posent des questions après le décès d'un proche ».
Paul François se défend d'être un « militant ». Simplement, il considère qu'on « ne peut plus aujourd'hui être dans le déni du danger des pesticides ». Lors du lancement de l'association, il
avait déclaré que l'on était à la veille d'une épidémie de cancers et autres maladies, « comme pour l'amiante il y a vingt ans ». D'aucuns avaient jugé le propos outrancier.
Paul François précise : « Sincèrement, j'espère me tromper quand je parle d'hécatombe, et si, dans dix ans, il apparaît que je me suis trompé, je ferai mon mea-culpa sans discuter. » En
attendant, il lui paraît nécessaire de poursuivre et d'approfondir la question. Une bonne raison à cela : « Mon père, qui a 85 ans, est en bonne santé. Il était agriculteur mais, tout au long de
sa vie professionnelle, il n'a pas utilisé 20 % des produits que j'ai utilisés, moi, par la suite. »
Du chemin à parcourir
Hier, à Tours, il était là avant tout « pour écouter » et avait prévenu à l'avance : « Si on nous dit que tout va bien ou pas si mal, je le contesterai. » À ses côtés se tenait Caroline Chenet,
veuve d'un viticulteur de Charente-maritime, lequel a été victime d'une leucémie, reconnue également maladie professionnelle. Si l'enquête
Agrican lui paraît aller dans le bon sens, l'exploration ne doit pas se limiter, pense-t-il, aux seuls cancers (poumon, foie, prostate), mais à l'ensemble des maladies auxquelles les agriculteurs
sont confrontés : « Leucémies, perte de fertilité, parkinson, Alzheimer… »
En fait, pour Paul François, « on n'en est qu'au début ». L'enquête Agrican n'a démarré en France qu'en 2005, alors que, observe-t-il, « les
Américains ont lancé des enquêtes lourdes sur une base beaucoup plus élargie dès 1995, et ils commencent tout juste à comprendre ce qu'il se
passe ! ».
Pour l'agriculteur charentais, il reste donc du chemin à parcourir.
Paul François cultive à Bernac, avec un associé, environ 400 hectares de terre : maïs, blé, colza, tournesol, pois… « Je ne suis pas bio », précise-t-il. Besoin de reconnaissance
Néanmoins, son accident l'a beaucoup fait évoluer
: « Nous avons considérablement réduit les engrais de synthèse en faisant de l'agronomie, en stoppant la monoculture du maïs, en pratiquant davantage les rotations de cultures. » Sans pour cela,
assure-t-il, mettre en danger l'équilibre économique de son exploitation.
L'association Phyto-victimes, qui se structure petit à petit, entend développer son action, y compris en direction de la société civile, même si les agriculteurs demeurent sa cible privilégiée :
« Les gens qui s'approchent de nous attendent un soutien et une reconnaissance de leurs problèmes. »